Basket la piste rétro
Familière du bitume plus que du
stade, la semelle tout-terrain retrouve la ligne épurée des premiers
modèles créés pour les grandes
heures du sport.
En 2003, quatre-vingts millions
de paires de baskets se sont vendues en France, plus grande
consommatrice européenne après
la Grande-Bretagne. Loin de s'essouffler, ce marché ne cesse de se
développer. Si les modèles de
sport représentent 38 % de la consommation de chaussure masculine,
40 % d'entre eux sont destinés
au bitume et non pas aux courts de tennis ou aux pistes de jogging.
D'où la logique des marques qui
répondent aux envies de la jeunesse urbaine branchée et
s'engouffrent toujours plus
avant dans le créneau de la mode. Comme celle des griffes de luxe qui
suivent le mouvement et
produisent des chaussures de sport en bousculant l'ordre établi.
Au-delà des prouesses
technologiques en tout genre et d'une course incessante aux brevets et aux
nouveautés, une vague rétro
s'est installée, qui fait référence aux premiers temps du sport. Les
marques renouent avec leurs
racines et se réconcilient un peu plus avec leur héritage. Ainsi, la «
Waffle Racer II », lancée par
Nike comme star de l'été 2004, est inspirée d'un modèle conçu en
1971. La marque Adidas propose
elle aussi toute une série de modèles vintage. La « Ali
boxing boot
», portée à l'origine par
Muhammad Ali lors de son combat historique contre Joe Frazier, la « Japan
», introduite en 1962, ou la
célébrissime « Nastase » sont rééditées.
Une tendance à la nostalgie
plus forte que jamais à quelques mois des Jeux olympiques d'Athènes,
qui se retrouvent au centre de
tous les discours marketing. De la chaussure dessinée spécialement pour
l'escrime à celle créée pour
les Jeux de Melbourne en 1956, les JO sont pour Adidas, qui supporte
les athlètes depuis 1928,
l'occasion d'imaginer une collection de modèles inspirés des grandes heures
du sport. A l'époque de la
performance à tout prix, les marques misent sur les valeurs traditionnelles
du sport, les beaux exploits de
l'histoire olympique, et tout simplement la passion de jouer.
Si le « swoosh » (la fameuse
virgule) est encore le logo le plus visible sur les pieds urbains - Nike
reste le numéro un du secteur-,
les trois bandes d'Adidas ou le félin de Puma se multiplient. Le
bénéfice net d'Adidas, numéro
deux, est en hausse de 14 % par rapport à 2002, tandis que celui de
Puma a plus que doublé, avec
une hausse de 111,3 % sur un an.
Puma, en étant le partenaire officiel
de l'équipe jamaïcaine à Athènes, joue la carte de la sympathie
et de la proximité. Une
communication basée sur des valeurs universelles, qui n'empêche cependant
pas une féroce guerre des prix,
et sert même de base à des séries limitées très élitistes. Ainsi, Puma
lance des « Commemorative
Series 2004 », à partir de chaussures de sport des années 1960, et
limite sa production à travers
le monde à 2004 paires, pour chacun des quatre modèles de la
collection.
Il n'en fallait pas plus pour
que les différentes marques du luxe se mettent à réaliser des baskets
cousues sellier. Comme Dolce
& Gabbana et sa série de chaussures aux couleurs des drapeaux
italien, français ou espagnol.
Comme Louis Vuitton, qui décline sa toile Monogram multicolore -
jusqu'ici réservé aux femmes -
sur un modèle de football pour homme. Ou comme Giorgio Armani et
sa paire de baskets en
anaconda.
Et les créateurs n'hésitent pas
à s'inviter chez les équipementiers pour imaginer des modèles
hautement fashion tout en
profitant de leur savoir-faire. Après le grand succès de Y-3, la ligne
d'Adidas créée par Yohji
Yamamoto, Prada imagine avec la marque Car Shoe une série de
chaussures de différentes
couleurs, à la semelle piquée de picots. Jean-Charles de Castelbajac
conçoit des modèles pour Le Coq
sportif, et Puma collabore pour la deuxième année avec le créateur
hollandais Alexander Van Slobbe
pour le développement de chaussures qui associent coloris vibrants
et matériaux légers, mode et héritage, avec les détails d'une chaussure de 1959.
Karine Porret
Le Monde Spécial, mercredi 17 mars 2004, p. 14